Un marché à deux vitesses


Masque Baulé, Côte d’Ivoire (hauteur : 32,5 cm). 
Ancienne collection Frederick R. Pleasants (1906-1976), Tucson (Etats-Unis).

La maison de ventes Sotheby’s disperse, le 21 juin 2023, à Paris, une soixantaine de pièces de la collection d’Hélène Leloup, marchande pionnière dans le commerce des arts d’Afrique. La pièce maîtresse : une sculpture fang à l’austère beauté ayant appartenu à la reine des cosmétiques Helena Rubinstein. En 1966, l’œuvre avait été adjugée pour 2 750 dollars, une somme déjà importante pour l’époque. Autres temps, autre montant : l’objet est aujourd’hui évalué entre 4 et 6 millions d’euros, une estimation en phase avec des pièces d’exception passées en vente.

Le lendemain, Christie’s proposera un autre objet issu de la collection Helena Rubinstein, un reliquaire métallique kota du Gabon, évalué à environ 250 000 euros. L’occasion de redonner un coup de fouet au marché des arts d’Afrique, après la vente de la mirifique collection Périnet, qui avait pulvérisé tous les records chez Christie’s en 2021 (66 millions d’euros, seize enchères millionnaires).

Malgré le succès de Parcours des mondes, qui, en septembre 2022, avait rallié les collectionneurs américains à Saint-Germain-des-Prés, ou celui, plus modeste, de Paris Tribal, dont les participants, en avril 2023, affichaient le sourire, les pièces importantes restent rares aux enchères.

« Le marché est séparé en deux parties vraiment distinctes, résume le marchand parisien Charles-Wesley Hourdé. D’un côté, les lots phares qui s’arrachent, de l’autre, le moyen de gamme qui se vend beaucoup plus mal… quand il se vend. » C’est à la première catégorie, celle des chefs-d’œuvre, qu’appartenait un fétiche nkisi n’kondi du Congo que Christie’s a cédé pour près de deux millions d’euros en juin 2022.

Prix moyen : 15 000 euros

Idem pour un masque fang du Gabon, de la société secrète du Ngil, qui a refait surface en mars de la même année dans le sud de la France, un siècle après avoir été collecté en Afrique équatoriale par le gouverneur René-Victor Fournier. Adjugé 5,25 millions d’euros à Toulouse, il frôle le record décroché par un masque du même type, issu de la collection Vérité, que Liliane Bettencourt, héritière de L’Oréal, avait acheté pour 5,7 millions d’euros en 2006.

Ces quelques records masquent la forêt d’invendus pour tous les objets de gamme intermédiaire. D’après le dernier rapport « Artkhade », qui, chaque année, prend le pouls de ce secteur, le prix moyen des objets d’Afrique se situait autour de 15 000 euros en 2022. Soit le prix de base pour acquérir l’œuvre de n’importe quel jeune peintre actuel.

Figure de reliquaire kota, Gabon (hauteur : 48,5 cm). 
Ancienne collection Helena Rubinstein (1870-1965), Paris-New York.

« Les collectionneurs ne se renouvellent pas, ou peu, déplore Charles-Wesley Hourdé. Il n’y a pas assez de jeunes pour remplacer les acheteurs expérimentés qui quittent le marché, et leur manière d’acheter a changé. » Les nouveaux entrants n’ont pas la boulimie compulsive de leurs aînés, tels l’héritier Hubert Goldet ou l’artiste Arman, qui dépensaient sans compter. « Ce n’est plus un marché de connaisseurs pointus qui pouvaient acheter dix masques dan, mais de collectionneurs plus “universalistes”, moins axés sur un domaine de niche », reconnaît Victor Teodorescu, directeur du département arts d’Afrique chez Christie’s.

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